Pourquoi le report des élections législatives au Togo suscite autant de réactions

Les élections reportées au Togo

Crédit photo, REPUBLIQUE TOGOLAISE

Légende image, Les Togolais attendent la nouvelle date des élections législatives et régionales
  • Author, Isidore Kouwonou
  • Role, BBC Afrique

Le gouvernement togolais a reporté les élections législatives et régionales prévues pour le 20 avril 2024.

Après une rencontre avec le bureau de l’Assemblée nationale le mercredi 3 avril dernier, Faure Gnassingbé a décidé de suspendre le processus électoral en cours.

Cette décision a été prise à la veille du début de la campagne électorale dans le cadre de ces législatives. Aucune nouvelle date n’a été retenue pour le moment pour ces élections législatives et régionales.

L’opposition s’est sentie pris de court par les événements. Puisqu’à en croire les leaders politiques, ils se préparaient à entrer en campagne le lendemain quand la décision était tombée.

Les arguments du gouvernement pour le report

Gilbert Bawara, ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social

Crédit photo, REPUBLIQUE TOGOLAISE

Légende image, Gilbert Bawara, ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social indique que la relecture du texte a pour but de « permettre aux Togolais de bien comprendre le contenu de la réforme, ses avantages et ses effets bénéfiques ».

C’est suite à une « rencontre républicaine » entre Faure Gnassingbé « attentif à l’intérêt manifesté par les populations à l’endroit de cette importante réforme, et dans l’esprit d’ouverture et du dialogue constructif » et le bureau de l’Assemblée nationale que ces élections ont été reportées.

« En réponse, le bureau de l’Assemblée nationale a souhaité disposer de quelques jours pour engager de larges consultations avec toutes les parties prenantes de la vie nationale. En conséquence, le gouvernement procédera à un léger réaménagement du calendrier des élections législatives et régionales initialement prévues le 20 avril 2024 », indique le communiqué qui a sanctionné la rencontre.

Si cette situation est dénoncée par l’opposition et des organisations de la société civile au Togo, le gouvernement, lui, trouve des justificatifs pour sa décision.

Pour le ministre de la Fonction publique, du Travail et du Dialogue social, Gilbert Bawara, la relecture du texte ayant pour but de « permettre aux Togolais de bien comprendre le contenu de la réforme, ses avantages et ses effets bénéfiques », l’Assemblée nationale va prendre ses responsabilités pour conduire le processus jusqu’à son terme.

Il a souligné que ce processus prendra en compte les points de vue et les contributions constructives que les « autres parties prenantes » apporteront pour enrichir la nouvelle loi. Cela va garantir, a-t-il poursuivi, la transparence et l’inclusion dans le projet de réforme constitutionnelle.

Il a ajouté que le report des élections législatives et régionales devra permettre au parlement de consulter toutes les parties prenantes de la vie nationale sur le changement de Constitution en cours.

« Il s’agit de donner l’occasion aux acteurs politiques, de la société civile, aux citoyens, de pouvoir apporter les améliorations. Le report des élections se justifie donc par le souci de faire en sorte que les larges consultations puissent avoir lieu dans un climat de sérénité et que tous ceux qui le souhaitent et sont animés de volonté à contribuer à améliorer le processus de réforme constitutionnelle en cours puissent le faire », a dit le ministre Bawara.

Cependant, ces sorties de ce membre du gouvernement ne convainc par l’opposition et les organisations de la société civile qui appellent à des manifestations. Mais sur place, toute voix dissonante est réprimée.

Répressions et peur au sein de la population

Une conférence de presse de l'opposition empêchée à Lomé

Crédit photo, OPPOSITION

Légende image, Des éléments des forces de l'ordre empêchent une conférence de l'opposition le 26 mars dernier dans un quartier de Lomé, au Togo

Au lendemain de l’adoption de cette nouvelle constitution, les conférences de presse qu’ont voulu faire deux coalitions de partis politiques et d’organisations de la société civile ont été réprimées à coup de gaz lacrymogènes.

Un autre regroupement, « Urgence républicaine » (UR), a vu ses 9 membres arrêtés le mercredi 03 avril dernier dans la capitale togolaise. Selon le procureur de la République, ils sont accusés de « troubles aggravés à l’ordre public ». Ces derniers appelaient la population à s’opposer au report des élections et à la nouvelle constitution.

Vendredi, le procureur de la République a décerné un mandat de dépôt contre 6 des 9 personnes arrêtées. Les 3 autres ont été relaxés.

Dans ces conditions, nombreux sont les observateurs qui se demandent si les manifestations auxquelles appelle l’opposition pourraient se tenir les 11, 12 et 13 avril prochains. Puisque sur place, toute action de contestation est réprimée.

Mais interrogée par BBC Afrique, la présidente du Convention démocratique des peuples africains (CDPA, opposition) et Coordinatrice du regroupement de partis politiques et d’associations de la société civile, DMP (Dynamique pour la majorité du peuple), Mme Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson a indiqué que le régime togolais est dans un « coup de force permanent », mais n’aime pas que le peuple s’exprime.

S’agissant du report des élections, elle a déclaré être « déçue de la dernière décision du gouvernement ». « Nous ne l’accepterons pas. Nous nous battrons contre cette constitution. Elle ne devrait pas être approuvée par le président ».

Des organisations de la société civile dénoncent des violations des droits de l’homme

Une coalition de 11 organisations de la société civile togolaise, après avoir dénoncé le report des élections et indiqué qu’il n’y a aucun rapport entre « la tenue des élections législatives et régionales dont la périodicité est consacrée par la constitution et le projet funeste de révision constitutionnelle », appelle la communauté internationale à réagir.

Elle dit condamner la privation des droits à la manifestation par le gouvernement. « La Organisations de la société civile font une ultime interpellation à l’endroit de la communauté internationale, notamment aux États-Unis d’Amérique, à l’Union Européenne, à la République Fédérale d’Allemagne, à la France, à l’Union Africaine et à la CEDEAO à œuvrer afin que la Cour Pénale Internationale (CPI) se saisissent du cas togolais avant qu’il ne soit trop tard », a-t-elle indiqué dans une déclaration.

Les organisations de la société civile rappellent aux forces de défense et de sécurité leur rôle républicain et les encouragent à observer une « stricte neutralité dans le débat politique », tout en s’abstenant de réprimer les manifestations publiques pacifiques.

La coalition appelle également à libération des prisonniers politiques, surtout ceux qui sont arrêtés ces derniers jours et demande au chef de l’Etat l’ouverture des « discussions préalables pour une transition politique ».

Pour le gouvernement, il ne s’agit pas de répression contre l’opposition, mais d’empêcher tout trouble à l’ordre public.

Réponse du gouvernement aux accusations de répression

Face à la crispation du paysage politique occasionnée par les tensions dans le pays, le gouvernement se dit serein, puisque, selon le ministre en charge de la Fonction publique, il y a toujours eu une volonté d’apaisement affichée par les autorités togolaises.

« Mais en même temps, nous devons veiller au respect des lois et les règlements qui s’appliquent, nous devons veiller à la préservation de la tranquillité, de la sécurité et de l’ordre public », a prévenu Gilbert Bawara. Il a ajouté que le gouvernement entend assumer pleinement cette responsabilité.

Pour lui, l’hypothèse d’un retrait de la loi sur le changement constitutionnel n’est pas « envisageable ».

« La majorité à l’Assemblée nationale et le parti majoritaire sont déterminés à assumer pleinement leur responsabilité. A partir du moment où l’initiative de cette réforme constitutionnelle procède d’une réflexion mûrie et approfondie, nous irons jusqu’au bout, mais nous le ferons en veillant à recueillir et à bénéficier des points de vue et des contributions de toutes les parties prenantes », a-t-il laissé entendre.

Impact du report et du musèlement de l’opposition

Des leaders de l'opposition togolaise

Crédit photo, OPPOSITION

Légende image, Des leaders de l'opposition togolaise en concertation après l'empêchement de leur réunion

Une autre coalition de 4 partis politiques de l’opposition et d’une organisation de la société civile togolaise a appelé les candidats à entrer en campagne. Elle dit ne pas comprendre pourquoi c’est à la veille de l’ouverture de la campagne que le gouvernement décide de reporter les élections.

L’opposition dit avoir engagé des dépenses pour le début de la campagne jeudi dernier. Le report vient donc remettre tout en question et constitue un manque à gagner, selon elle.

Le report des élections est synonyme de prolongement du mandat des députés qui en profiteront, selon l’opposition, pour faire passer la nouvelle loi contestée par la classe politique.

Ce report risque d’accentuer la crise politique et provoquer d’autres troubles dans le pays avec des manifestations publiques qui sont annoncées dans les prochains jours, selon de nombreux observateurs.

Déjà, l’ambassade des Etats-Unis au Togo, dans une note rendue publique dimanche, demande à ses ressortissants de limiter les sorties les jours de manifestation, surtout dans la capitale togolaise.

« L’Ambassade vous conseille d’éviter les zones autour des manifestations/protestations/marches autant que possible et de faire preuve de prudence lorsque vous êtes à proximité de grands rassemblements car même les manifestations pacifiques peuvent devenir violentes sans avertissement », a écrit l’ambassade.

Pour le moment, l’on ne sait pas si ces manifestations seront autorisées par le gouvernement ou pas.

Ce lundi, le bureau de l’Assemblée nationale a entamé une tournée qui devra l’amener à parcourir tout le territoire pour, selon le gouvernement, expliquer le contenu du texte aux populations.